Les relations entre la voix et le cerveau
« Commencer par dire que c’est la langue qui produit la voix, ça parait bien étrange…Cette discussion est un peu trop confuse pour moi, désolée, mais vous mélangez voix, langage et communication, et votre propos ne me convainc pas »
LES RAPPORTS ENTRE L’ORGANE ET LA FONCTION
Cette remarque d’une orthophoniste, professionnelle de la rééducation du langage, fait suite à la diffusion de cette vidéo sur un groupe FB. De fait, il me semble très pertinent de prendre le temps d’y répondre. Cette entrevue a été effectivement tournée de façon impromptue, durant une pause lors d’un congrès à Lyon, il y a quelques mois. Il y a donc de nombreuses points à approfondir pour étayer un point de vue solide sur un sujet aussi complexe.
PARLER, MARCHER, PENSER
Débutons par examiner ensemble les différentes pièces du puzzle. C’est à dire, par étudier la construction de l’acquisition de la station debout de l’Humain selon une approche globale, c’est à dire neurodéveloppementale. Cette posture s’acquiert au terme d’un lent processus de développement posturo-moteur et cognitif chez l’enfant.
Le début d’un lent processus évolutif…
L’ÉTAPE COGNITIVE SENSORIMOTRICE
Si le jeune poulain qui vient de naître, peut quelques heures plus tard se déplacer seul, c’est loin d’être le cas chez Bébé. Pour lui, la posture debout et la marche sont acquises au terme d’un lent processus évolutif. Cette étape a été décrite par Jean Piaget. Elle s’étend de la naissance à deux ans et se nomme, l’étape sensori-motrice:
qui se déroule par de multiples étapes minutieusement programmées…
L’AUTONOMIE: S’ALIMENTER SEUL, MARCHER
Lors de cette période, il est fascinant de constater à quel point le développement est orienté constamment vers l’action en vue d’une finalité: se mouvoir, se déplacer, s’alimenter pour assurer la survie. Le tableau suivant montre bien la concomitance de la mise en place de ses différentes fonctions primordiales en vue de l’autonomie:
passant par l’autonomie posturale….
Notons qu’au cours du déroulement de ce programme cognitif et moteur déterminé, l’enfant peut alors marcher seul. Il peut donc s’éloigner de sa mère tout en restant «à portée de voix”.
LE RÔLE DES “FLUX SENSORIELS»
Ainsi depuis sa naissance, différents flux sensoriels vont s’équilibrer pour guider le développement de Bébé. Nous aurions tous avantage à lire ou relire l’excellent livre du Dr André Bullinger sur les avatars lors du développement sensori-moteur de l’ enfant: https://www.cairn.info/le-developpement-sensori-moteur-de… Sa lecture permet de mieux apprécier le rôle des fonctions prélinguistiques exercées par la langue dans le redressement postural de Bébé.
Par l’installation d’on tonus pneumatique….
LES FONCTIONS PRÉ-LINGUISTIQUES
Ces fonctions primaires sont notamment:
- La succion-déglutition
- La ventilation / respiration
- La mastication
Une harmonie des fonctions pré-linguistiques
D’une part cette fonction primaire de succion-déglutition participe, par ses mouvements répétés de ses 17 muscles exerçant une traction sur l’axe hyoïde-trachéal, à la mise en place de la lordose cervicale. Elle est aussi le premier organe de la respiration en permettant le redressement le développement du soutien hydro-pneumatique abdominal. C’est la base du tonus pneumatique.
LA PLURIMODALITÉ SENSORIELLE
A partir de cette compréhension systémique du développement postural et moteur chez l’Humain, il devient plus aisé de considérer la voix autant comme une question de souffle que de simples vibrations des cordes vocales. Tout le corps participe ainsi à la voix….tout comme tous nos sens y contribuent:
Perception et plurimodalité sensorielle
LES 17 MUSCLES DE LA LANGUE
Toutefois, la complexité ne peut se réduire uniquement à ces simples mécanismes neurophysiologiques. En effet, les contraintes incessantes d’un environnement en perpétuel changement poussent souvent à l’extrême les limites adaptatives de nombreuses fonctions humaines. Prenons ainsi le rôle de la langue comme conformateur buccal. La place qui lui incombe dans la mise en place de la dysmorphose dite de Classe II est aujourd’hui évidente
pour une croissance maxillo-faciale physiologique
DÉVELOPPEMENT MAXILLO-FACIAL ET FONCTION LINGUALE
Tous les orthodontistes s’accordent pour considérer cette dysmorphose comme la conséquence directe des dysfonctions linguales. Ils conseillent d’ailleurs une rééducation précoce des praxies linguales comme intervention précoce à partir de 18 mois à 24 mois.
On doit ce remarquable travail de pionnier à Maryvonne Fournier aidée du Pr Delaire de Nantes, ll y a déjà plus d’une vingtaine d’années:
Les différents avatars observés au cours de cette étape dite sensori-motrice sont pourtant fréquents. De plus, leurs conséquences développementales sont alors souvent très délétères pour la croissance ulltérieure.
L’orthodontie ou l’orthopédie dento-faciale sont alors souvent indiquées comme seules solutions. Ces problèmes sont classifiés comme biomécaniques. Leurs causes sont alors dites “essentielles”. C’est donc par une action passive, en exerçant des forces de traction osseuse que la spécialiste va redresser la situation. Quant aux différentes autres comorbidités, elle ne sont que peu ou pas prises en compte dans l’immédiat.
LA GLOSSOPTOSE AU DÉBUT DU XXÈME SIÈCLE
Reconnaissez-vous ce type de profil décrit déjà au début du XXème siècle par le Dr P. Robin: La glossoptose. G Doin éd, Paris 1928
La “GLOSSOPTOSE»:
La” Glossoptose»
Le tableau clinique comporte des troubles locaux :
- l’obstruction du pharynx (« le confluent vital ») par la ptose de la langue entraîne : une étroitesse des mâchoires
- Un menton fuyant
Des troubles généraux:
- une respiration buccale
- une fragilité, rhinites, asthme, tuberculose
- une instabilité vago-sympathico-endocrinien, prédisposition aux troubles hépatiques, gastriques, appendiculaires,
- un dos voûté, avec les épaules tombantes,
- des troubles intellectuels, instabilité, fatigue, échec scolaire, énurésie.
UN TROUBLE NEURODÉVELOPPEMENTAL?
Peut-être le rencontrez-vous plus souvent de nos jours sous sa forme “modifiée”? C’est à dire, moins exagérée ou moins caricaturale sur le plan de la croissance musculosquelettique. Pourtant, n’est-il pas reconnaissable malgré les différentes aides et interventions des professionnels concernés?
Sur le plan postural et moteur, il:
- est en cours de traitement d’orthodontie pour une classe II,
- porte des semelles dans ses chaussures,
- va régulièrement chez l’ostéopathe ou le kiné (physio),
- présente attitude scoliotique qui est suivie par le pédiatre,
- n’a pas de “posture”, n’aime pas les sports, se blesse souvent, etc.
Sur le plan cognitif, il:
- est en attente de son prochain bilan d’ergothérapie pour sa maladresse, sa fatigabilité à écrire et sa faible motivation,
- a reçu le dernier bilan orthophonique où on a constaté ses difficultés à installer de façon précoce le langage. Il ne présente toutefois
- plus aujourd’hui de signes patents de retard de langage
- est peut-être dyslexique et il devra être l’objet d’un bilan approprié.
- a peut-être aussi un TDA (trouble de l’attention) sous-jacent qui devrait être évalué par un neuropsychologue.
Sur le plan émotionnel, il:
- est peu sociable, toujours le plus souvent dans son monde imaginaire,
- s’emporte dès que sa soeur vient le déranger,
- ne montre pas d’intérêt pour ce qui l’entoure et semble encore “immature” pour son âge.
LE DSM – 5 ET LES TROUBLES DÉVELOPPEMENTAUX
Le DSM 5 et les troubles neurodéveloppementaux
Cette description clinique est évidemment fictive. Avouez tout de même qu’elle représente l’un des profils fréquemment rencontrés dès l’âge de la marche, de l’acquisition du langage et des premiers apprentissages.
Or, la constatation de l’existence de ce profil a peu de chance d’ aboutir à une croissance harmonieuse sur le plan moteur, cognitif et émotionnel. Malgré tous les efforts déployés autour de lui pour lui venir en aide. Même plus, il y a de fortes chances que les difficultés s’accroissent au fur et à mesure des nouveaux défis qu’il devra relever au fil du temps. D’ailleurs, la compilation des différentes évaluations qui ont jalonné son parcours aboutissent à cette redoutable étiquette de “MULTI-DYS”.
LA CONSTELLATION DYS
la constellation DYS et les dysfonctions neurodéveloppementales
En résumé, dyspraxie verbale, dyslexie, dysphasie, trouble de la communication chez l’enfant autiste-verbal peuvent être les différentes facette de la constellation Dys, c’est à dire des comorbidités. Elles peuvent se retrouver simultanément présentes chez un même enfant à divers degrés.
Pourquoi vouloir encore séparer et isoler la croissance des fonctions posturales et motrices du développement cérébral?
Existe-t-il une santé mentale “sans” la participation du corps?
Le relation globale entre voix, langage et communication est-elle encore si difficile à envisager dans un concept de “causalité circulaire”? Évidemment, ce n’est pas parce qu’un schéma de causalité prend la forme systémique qu’il est vrai ! Pour le valider, il faut le comparer avec les évolutions observées des systèmes réels, apporter pour chaque relation des éléments de preuve, etc.
N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires,
A très vite
Joël
Mots-clés: education, psychologie, santé, science